(Jean-Marie Guénois, Le Figaro) ANALYSE. Le déplacement du Saint-Père sur le continent africain revêt une importance particulière. -- Le
pape François entame ce mardi un périple africain qui doit d’abord le conduire
en République démocratique du Congo, jusqu’à vendredi, puis au Soudan du Sud.
Il doit rentrer à Rome dimanche soir. Ce voyage aurait dû avoir lieu en juillet
2022, mais il avait été annulé à la dernière minute suite, officiellement, aux
problèmes de genou de François, mais les questions de sécurité avaient pesé. À
86 ans, toujours handicapé, François n’a donc pas voulu trahir sa promesse de
venir au Soudan du Sud, notamment, pays pour lequel il s’est personnellement
impliqué pour la paix. Un accord fut signé à Rome en 2020, mais peu respecté
depuis. Ce dossier lui tient à cœur - et à celui de la communauté Sant Egidio
qui agit en coulisses - au point que François, lors d’une réunion préparatoire
à Rome, le 19 avril 2019, s’était prosterné devant le président Salva Kiir et
le chef des rebelles, Riek Machar, du Soudan du Sud pour leur… embrasser les
pieds. Un geste totalement inédit pour un pape, hors liturgie. François aime
les actes marquants. Il en faudra pour répondre aux quatre défis de son
quarantième voyage international.
Premier
défi: honorer le continent africain. François le visite pour la cinquième fois
depuis son élection, il y a presque dix ans, le 13 mars 2013, mais l’Afrique
n’a pas vraiment été sa priorité. Ses nominations romaines le démontrent: il
n’a plus aucun cardinal africain à la tête des dicastères. Il en a remercié
deux, les cardinaux Robert Sarah et Peter Turkson, sans les remplacer de ce
point de vue. Ce que les Africains n’apprécient pas compte tenu de ce qu’ils
représentent dans l’Église. Quant à ses voyages, l’Afrique est le continent que
François aura le moins visité, alors qu’il est allé six fois, par exemple, en
Asie centrale et Asie, sa priorité géo-ecclésiale, avec la Chine en ligne de
mire.
Deuxième
défi: l’affermissement des catholiques pour contenir la montée des
évangéliques. Si la République démocratique du Congo est encore le premier pays
catholique francophone du monde, en termes de fidèles, la situation s’altère.
Avec 52 millions de catholiques sur plus de 105 millions d’habitants, cette
religion vient de passer sous la barre des 50 % de la population parce que la
montée des protestants évangéliques est plus rapide que la progression des
catholiques. 22 % des Congolais sont protestants, un sur cinq est évangélique.
Comme partout, ces derniers font preuve d’un grand dynamisme. L’Église est
puissante mais elle ne peut se reposer sur ses lauriers. Elle peut compter sur
77.000 «catéchistes», qui sont très importants en Afrique, ce sont eux les
véritables vecteurs des communautés, et 6 162 prêtres, deux fois moins qu’en
France pour des besoins bien supérieurs. Elle gère aussi 40 % des
établissements de santé et 30 % des écoles publiques.
Un
pontificat très bousculé ces derniers temps
Troisième
défi: le soutien de l’Église dans son rôle de stabilisateur politique. La
réalité de la République démocratique du Congo (RDC) et celle du Soudan du Sud,
où les catholiques sont majoritaires à 52,4 %, ne sont pas comparables, mais
l’implication de l’Église dans la vie sociale et politique a des similitudes,
applicables à d’autres pays du continent. En RDC l’Église jouit d’une autorité
hors norme, parce qu’elle a toujours été l’une des figures de résistance aux
régimes autoritaires depuis les années 1960. Seulement indépendant depuis 2011,
le Soudan du Sud semble n’avoir connu que la guerre, l’instabilité, les morts
par millions, agité qu’il est à présent par plusieurs ethnies rivales, les
Dinka, les Nuer et aujourd’hui les Murle. Avec un sous-sol… d’une richesse
extrême! Les accords de paix (Addis Abeba en 2018, Rome en 2020) soutenus par
l’Église semblent caducs. Les élections, prévues en 2023, ont été reportées à
2025. Mais l’Église veut concourir au dialogue entre ennemis, envers et contre
tout.
Quatrième
défi: la confirmation du leadership du pape François. La mort de Benoît XVI, la
grogne de certains cardinaux, le scandale du jésuite Rupnik (où François nie
toute responsabilité), la santé du pape, nourrissent un climat romain délétère.
Sur la défensive, François vient de se justifier point par point dans une
longue interview accordée à l’agence Associated Press, le 24 janvier. La
chaleur des catholiques africains ne sera pas de trop pour redonner de l’élan à
un pontificat très bousculé ces derniers temps.