(Jean-Marie Guénois, Le Figaro) DÉCRYPTAGE - Le haut prélat, qui fut archevêque de Bordeaux, a écrit une
lettre ouverte à ses frères évêques. Un nouveau choc pour l’Église.
C’est
l’heure des confessions publiques dans l’épiscopat français. Par lettre,
révélée publiquement à Lourdes lundi 7 novembre, par Mgr Éric de
Moulins-Beaufort, président des évêques de France, le cardinal Jean-Pierre
Ricard, ancien archevêque de Bordeaux, a reconnu s’être «conduit de façon
répréhensible avec une jeune fille de 14 ans», il y a «trente-cinq ans», alors
qu’il était «curé» dans le diocèse de Marseille dont il est originaire.
C’est
un nouveau choc pour l’Église car Mgr Ricard, 78 ans, est une figure du
catholicisme français: élu à deux reprises président de la Conférence des
évêques, de 2001 à 2008 - années où l’épiscopat entrait en lutte contre le
phénomène de la pédophilie -, il fut nommé cardinal par Benoît XVI en 2006 et
participa à l’élection du pape François en 2013. Bien que retraité, il est
toujours membre de la Congrégation pour la doctrine de la foi, la plus
importante des instances vaticanes.
La
lettre de Mgr Ricard a d’abord été lue dimanche, dans l’enceinte des évêques de
France réunis à huis clos pour leur assemblée d’automne, consacrée notamment à
ces abus et dont il était absent. Le prélat y explique sa démarche totalement
inédite, car jamais un évêque ne s’était dénoncé: «J’ai décidé de ne plus taire
ma situation, écrit le cardinal Ricard, et de me mettre à la disposition de la
justice, tant sur le plan de la société que celui de l’Église». Car, dit-il,
«ce qui est premier est la souffrance vécue par les personnes victimes». Il
affirme «(s)’être expliqué» avec la personne dont il a abusé et lui avoir
«demandé pardon». Mais il reconnaît que son «comportement a nécessairement
causé» chez elle «des conséquences graves et durables».
Rétention
d’informations
C’est
une affaire de plus pour l’Église de France, fortement déstabilisée depuis
trois semaines par «l’affaire Santier», du nom de l’ancien évêque de Créteil
âgé de 75 ans, qui recouvre en réalité deux scandales. Le premier, qu’il a
reconnu, a conduit à sa démission, acceptée par le pape, en 2020. Il a
pratiqué, il y a une trentaine d’années, des «strip confessions», pudiquement qualifiées
de «voyeurisme» par l’épiscopat, où le pénitent devait se déshabiller
progressivement… On compte aujourd’hui cinq plaignants, peut-être sept.
Le
second est un scandale dans ce scandale. C’est lui qui a suscité la forte crise
actuelle au sein de la Conférence des évêques, transformant cette assemblée,
réunie depuis le 3 novembre jusqu’à ce mardi, en une heure de vérité aussi
inédite que sans concession. Avec des «colères» de plusieurs évêques et de la
«méfiance» chez d’autres, a même reconnu leur président, Mgr Moulins-Beaufort.
En
cause: la rétention d’informations sur la vraie raison de la démission de Mgr
Santier. En novembre 2021, les évêques avaient simplement été informés de
sanctions disciplinaires le concernant mais sans aucun détail sur la gravité des
faits. Autre motif de colère des évêques: la direction de l’épiscopat a
consenti ensuite et à deux reprises que Mgr Santier, pourtant frappé par ces
sanctions canoniques, soit publiquement présent comme si de rien n’était à deux
importantes messes publiques, et ce, à l’insu des prêtres et des fidèles: lors
de l’installation de son successeur à Créteil, Mgr Blanchet, en janvier 2022 ;
lors de la messe chrismale d’avril 2022 qui réunit tous les prêtres du diocèse
autour de Mgr Blanchet, vice-président de l’épiscopat. Le clergé et les
catholiques de ce diocèse estiment avoir été trompés et se sentent méprisés.
Ils ont été soutenus par une cinquantaine de manifestations dominicales en
France, soit la moitié des diocèses français, organisées par le collectif de
jeunes laïcs Agir pour notre Église.
Lors
d’une conférence de presse improvisée ce lundi après la révélation du cardinal
Ricard, Mgr Moulins-Beaufort, sous pression, a déploré le cloisonnement des
circuits d’information internes de l’Église et a garanti de nouvelles mesures
de transparence à venir. Il a également précisé, mais sans citer aucun nom, que
dix évêques, tous à la retraite, ont été ou sont à ce jour mis en cause pour
des affaires d’abus. Huit pour abus directs et deux pour non-dénonciation: l’un,
Mgr Faure, fut condamné en 2018, l’autre, le cardinal Barbarin, a été relaxé en
2020. Et il faudrait ajouter Mgr Pican, aujourd’hui décédé, également condamné
pour non dénonciation. Sur les huit, hormis Santier et Ricard, trois noms ne
sont encore jamais sortis mais trois autres ont fait parler d’eux, même si les
dossiers ne sont pas tranchés sur le plan judiciaire: Mgr Hervé Gaschignard,
Mgr Laurent Lafont et Mgr Jean- Michel di Falco.
L’épiscopat
insiste pour dire qu’aucun de ces évêques n’a été impliqué alors qu’il était en
charge épiscopale, sauf pour les deux cas de non-dénonciation. Ce sont des
«futurs» évêques qui ont été des prêtres abuseurs à une époque, pour
l’essentiel les années 1970 et 1980, qui marque de fait un pic dans les
affaires de pédophilie. Les évêques étant choisis parmi les prêtres,
l’épiscopat devait être, un jour ou l’autre, rattrapé par ce genre d’affaires.