(Jean-Marie Guénois, "Dieu seul le sait - 37" - Le Figaro) Chères lectrices, chers lecteurs, Très heureux de vous retrouver après cet été. J'espère qu'il a été bon et reposant pour vous. Nous entamons une nouvelle saison de notre lettre exclusive «Dieu seul le sait» et je vous suis gré de votre fidélité et patience.
J'essaye, un peu à contretemps, de me dégager des conditionnements immédiats de l'actualité chaude pour vous partager ce qui m'apparaît stable, notable, décisif à moyen terme.
Avec cette dose – et responsabilité – propre à ce métier, qui serait une forme de «présomption» au premier sens du Larousse. Un sens qui n'est pas négatif. Ce sont des analyses et des jugements fondés non sur des preuves absolues mais sur des indices, des observations, des hypothèses, du probable. Avec les faits certains et tangibles, cela forme la matière quotidienne du journalisme.
C'est aussi l'esprit de cette lettre : approcher les réalités complexes et délicates des domaines de la religion, de la spiritualité, de la laïcité, pour les saisir autant que possible, les formaliser avec des mots, en vue de nourrir notre réflexion commune. À un rythme volontairement lent pour laisser les choses se décanter. Pour l'urgent et le quotidien vous pouvez, si vous le voulez, vous référer à mes articles dans Le Figaro, imprimé ou publié sur internet.
Cette démarche d'approfondissement impose de l'humilité, j'ose le mot, devant des réalités qui nous dépassent, mais aussi une exigence rationnelle forte. Et surtout la liberté de dire les choses dans des univers culturels où la parole est souvent cadenassée. La liberté pourrait d'ailleurs être le sel de cette missive, son maître mot.
Que retenir en cet automne 2022 ?
J'ai eu la chance à la fin du mois d'août, puis en septembre, de me rendre à deux reprises à Rome, ville que je connais très bien pour y avoir vécu une dizaine d'années et pour m'y rendre très régulièrement. Il s'agissait de couvrir deux événements : la création de nouveaux cardinaux et une réunion exceptionnelle du Sénat de l'Église voulue par le pape sur la réforme de la Curie romaine ; le voyage de François au Kazakhstan ensuite que j'ai suivi dans l'avion papal.
Après ces années «Covid» marquées par la distance, les écrans, l'apparence virtuelle, rien ne pourra jamais remplacer la qualité de ces conversations à l'ombre des «trattorias» qui cernent la cité du Vatican où l'on sait toutefois que même les murs ont des oreilles…
Il est en effet une tradition vaticane paradoxale : il est interdit à ceux qui savent, de parler des «secrets du Palais», il leur est possible de dire beaucoup, en bonne intelligence, quand la confiance est établie et qu'elle n'est jamais trahie.
À partir de ces deux séjours, je confirme l'ambiance «fin de règne» que j'ai décrite au printemps dernier sur laquelle je ne reviendrai pas en détail dans cette lettre. Sinon pour noter une forme de fébrilité et de volontarisme, jamais encore observée à ce point en plus de trois décennies d'expérience journalistique romaine. Les lieutenants de François sont très nerveux quant à la mise en place de la réforme. Ils sont souvent plus royalistes que le roi.
Mais de secrets, au sens de ceux que l'on apprendrait par inadvertance en écoutant son hôte tourner sa cuiller dans un expresso noir comme l'ébène, il n'y en a plus guère. L'hyper communication a envahi l'Église. Cette surenchère a le goût insipide du «café Americano» transparent, sans saveur.
On aura remarqué par exemple que le nouveau «dicastère pour le service du développement humain intégral» (issu du regroupement de plusieurs ministères du Vatican de la réforme de la Curie qui visait à faire des économies) aura pris comme première décision de créer de toutes pièces un service de… communication ! Ce qui est sans doute générateur d'économie. Sauf, qu'il court-circuite la très officielle et pourtant efficace Salle de presse du Saint-Siège. Il diffuse sous embargo comme s'ils avaient une importance première, les discours de son ambitieux cardinal, Michael Czerny, 76 ans, un jésuite canadien, d'origine tchèque, proche du pape François.
Même phénomène dans le ministère en charge du synode. Cette structure fut jadis l'une des plus discrète. Elle aussi a créé son bureau de presse diffusant la bonne parole. À ce rythme chaque nouveau dicastère du Vatican, les ministères, aura son service de communication !
Le problème est que la véritable information ne réside dans ces bulletins officiels et lettres hebdomadaires souvent vides qui sont plutôt le symptôme du malaise d'une institution qui chercheraient à justifier en permanence son existence en montrant qu'elle « fait » des choses.
Il me semble pourtant que le silence de marbre de la chaire de Saint Pierre, au cœur de la basilique, vénérée par les catholiques comme le tombeau de l'apôtre, «travaille» tout autant à ce mystère d'une Église catholique qui traverse, taiseuse ou bavarde, les siècles, malgré tout.
Je ne glorifie pas un fixisme poussiéreux mais j'observe, dans toutes les religions, que le message dépasse souvent, et de très haut, ses messagers, fussent-ils des as du tweet ou du TikTok qui rime avec toc, car ce message essentiel, s'il a de la valeur et de la pertinence, touche qui il veut, là où il veut. Les religions doivent-elles vraiment chercher à séduire en adoptant les méthodes du marketing ? On y détecte souvent de stratégies personnelles et peu d'information à vrai dire.
Toutes les religions ont cependant un «appareil» religieux avec ses traditions, ses grandeurs, ses limites, c'est «l'institution». L'Église catholique détient, de ce point de vue, la palme de la continuité institutionnelle. Même en position d'aîné, le judaïsme n'a pas cette même permanence institutionnelle visible, structurée.
Quelques cardinaux contestent
C'est pourtant cette structure, cette stabilité institutionnelle de l'Église catholique dont on perçoit à présent les craquements sonores qui annoncent une mutation forte mais aussi un affaiblissement certain. Cette hypothèse est le cœur de cette lettre de rentrée.
Une question commence en effet à se poser : combien de temps cette stabilité institutionnelle catholique qui paraissait immuable va-t-elle tenir ? La majesté romaine et vaticane, sa centralité, vont-elles durer ?
Le mois qui vient de s'écouler a mis à jour des signaux très nets d'une forte évolution en cours. Et deux indices sérieux l'attestent.
Le premier concerne la réforme de la curie romaine, administration centrale de l'Église mais aussi tête visible d'un corps social et mystique appelé Église catholique. Il se trouve que la réunion des cardinaux des 29 et 30 août - la seconde depuis le début du pontificat en 2013 - a été le théâtre d'une contestation inattendue de plusieurs cardinaux inquiets de la tournure des événements. Lors de cette réunion à huis clos, plusieurs et pas des moindres, ont contesté un point clé de la nouvelle Constitution apostolique qui régit l'organisation de l'Église, le pouvoir du pape qu'il considère trop renforcé au détriment du pouvoir des évêques.
Ce document normatif a été préparé par un petit comité de neuf cardinaux pendant 9 ans. Il a été promulgué par François le 19 mars 2022 et seulement soumis à l'avis de tous les cardinaux les 29 et 30 août réunis à Rome à la demande du pape.
Bons garçons, quelques cardinaux ont osé faire observer qu'ils auraient pu être consultés «avant» et non pas «après» la promulgation… Le sacré collège forme, après tout, le sénat de l'Église. Ce n'est ni un détail, ni une nouveauté. C'est même une tradition millénaire dans l'Église. Les papes ont toujours consulté leurs cardinaux. Ils sont chargés de le conseiller. Avant même d'élire le pape, c'est leur première mission fondamentale.
D'autres cardinaux se sont étonnés que la synodalité, c'est-à-dire la concertation fraternelle, devenue le mot-clé du pontificat, ait été paradoxalement oubliée pour ce texte capital. Tant dans sa phase de conception de la réforme de la Curie en 2013, année de l'élection de François, que dans sa phase de mise au point de la nouvelle Constitution régissant cette réforme. Le texte a certes donné lieu à une consultation interne mais c'est ce seul groupe de neuf cardinaux, proches conseillers de François qui a décidé de tout avec le pape.
Au-delà de ces questions de méthode autoritaire, plusieurs cardinaux – dont publiquement, les cardinaux Ouellet et Kasper, ce n'est donc par une lubie de «conservateurs» - ont mis plus gravement en cause le fondement même de cette nouvelle Constitution de l'Église en considérant qu'elle n'était pas dans l'esprit du Concile Vatican II sur un point clé : l'origine du pouvoir dans l'Église ; et par conséquent… l'autorité.
En renforçant l'autorité du pape au détriment des évêques et des cardinaux, en confiant de hautes responsabilités à des laïcs et non plus seulement à des évêques, il leur semble que l'Église catholique abandonnerait une vision fondamentale de son ADN selon lequel le Christ a transmis son autorité d'abord aux apôtres dont les évêques sont les successeurs selon une tradition ininterrompue.
On n'entrera pas ici dans la discussion théologique qui nécessiterait, a minima, une dizaine de pages parce qu'elle très technique. Elle touche la distinction entre le «pouvoir d'ordre» et le «pouvoir de juridiction» dans l'Église. Le premier concerne l'évêque en tant «qu'apôtre», membre du collège apostolique choisi par le Pape avec l'autorité conférée par le Christ. Le second, le «pouvoir de juridiction» est fonctionnel, il peut être délégué à certaines conditions. La philosophe Aline Lizotte explique ici clairement cette différence.
On retiendra seulement le fait que l'Église catholique en cette année 2022, ouvre largement les portes du pouvoir, à son plus haut niveau, aux laïcs, sur un modèle inspiré du protestantisme. François bouscule les raisons théologiques qui réservaient le pouvoir ultime dans l'Église aux «évêques» selon le modèle du Christ et des apôtres.
À ce sujet, les dernières déclarations du cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque au Luxembourg et rapporteur général du prochain synode sur la synodalité sont limpides : il situe «l'écoute» des fidèles, comme la base du rôle de l'évêque et de son «autorité» sinon, pense-t-il le «pouvoir» est exercé d'une «mauvaise manière» et serait »monarchique» : ««Comment puis-je décider en tant qu'évêque si je n'écoute pas le peuple ?» a-t-il déclaré la semaine dernière à Frascati lors d'une session de préparation de ce synode à venir.
L'épiscopat catholique en perte d'autorité
Certains cardinaux, tous évêques, y voient un double risque, celui de voir leur «charisme» propre, épiscopal, être minimisé. Et par conséquent, le centralisme du pouvoir papal, renforcé car il serait le seul arbitre de la distribution des responsabilités, la «collégialité épiscopale» étant amoindrie.
De fait, le mot «collégialité» qui a dominé le fonctionnement ecclésial depuis cinquante ans est en train de disparaître de l'usage courant au profit du mot «synodalité».
Tout se passe comme si François avait affaibli les corps intermédiaires de l'Église, curie romaine, évêques qui assistaient depuis des siècles la papauté, au profit d'un gouvernement à la fois plus charismatique et plus personnel du pape mais aussi plus administré, et encadré via les conférences nationales des évêques.
L'évêque, «patron» de son diocèse, se trouve doublement court-circuité : le pape est devenu le seul évêque du monde ; la conférence épiscopale est devenue l'échelon ordinaire de gouvernance.
Cette discussion vous paraîtra byzantine, elle ne l'est pas car elle annonce des heures difficiles pour le centre du monde catholique qui, mis à part l'institution du pape, se trouve comme déboulonné de ses appuis fondamentaux.
Et pas sur un axe mineur mais sur l'un de ses pivots majeurs : l'autorité. Non l'autorité de dire si André ou Paul doivent occuper la présidence A ou B dans une logique d'organisation fonctionnelle mais l'autorité du discernement et de l'interprétation du «dépôt» de la foi chrétienne interprétée dans la tradition catholique. Ce qui est la raison d'être du Saint-Siège. Et ce qui situe l'enjeu de la question.
Les mois qui viennent vont être passionnants car il n'est pas impossible que le pape décide que ce point contesté de l'affaiblissement de l'autorité épiscopale dans la nouvelle constitution soit corrigé pour rester fidèle à l'Esprit du Concile Vatican II. Mais il peut aussi ne rien toucher. L'homme clé de cette réforme jouit de toute la confiance de François vient d'être nommé cardinal. C'est un jésuite qui est la référence de l'Église en matière de droit canonique : Mgr Gianfranco Ghirlanda. S'il accepte de revoir la copie, les choses pourraient évoluer. S'il refuse, son avis prévaudra et rien ne bougera. On vient de mesurer son poids et son influence auprès du pape dans l'affaire de l'Ordre de Malte.
Voilà pour le premier indice de notre réflexion. En donnant plus de pouvoir aux laïcs, ce qui est une bonne chose, le pape a débordé le champ de l'organisation fonctionnelle d'une structure et il a atteint le nerf du système, celui de nature de l'épiscopat, qui est d'ordre mystique, théologique et ecclésiologique et qui fonde l'autorité spirituelle dans l'Église et qui est jusque-là, le propre des évêques.
Si la nouvelle Constitution de l'Église conservait cette évolution, c'est l'autorité du Saint-Siège qui se trouverait aussi édulcorée au profit des conférences épiscopales et des périphéries. Avec des risques potentiels de divisions très sérieux comme on peut le voir maintenant alors que le centralisme catholique, critiquable à bien des égards, était l'un des points forts de cette Église.
L'Église en état de synode permanent
Un second indice remarquable, venant cette fois des périphéries et non plus de Rome, a surgi en ce mois de septembre : l'adoption par l'Église néerlandophone de Belgique d'une sorte de liturgie permettant de bénir des couples homosexuels. Ce qui a créé une polémique mondiale, corrigée par ces évêques eux-mêmes qui ont assuré qu'il ne s'agissait en aucun cas d'une «bénédiction» de l'union en question mais d'une prière d'accompagnement…
Je n'ai pas directement traité ce sujet sur lequel je vais revenir avec un angle plus large touchant les États-Unis, Rome, l'Allemagne car la pression est globale sur la reconnaissance plénière de l'homosexualité par l'Église, l'affaire belge n'étant qu'un épiphénomène.
Nous n'entrons donc pas ici dans l'argument mais dans le fait qu'une Église particulière a décidé d'une mesure aussi symbolique.
Il faut ajouter à cet épisode ce qui se prépare également en Allemagne dans le cadre du synode national. Ses décisions auront symboliquement autant d'importance que le synode sur la synodalité en cours à Rome. Car cette «créativité» pastorale touchera toutes les Églises locales quand la machine synodale mondiale sera lancée à pleine vitesse dans l'Église catholique.
Mais comment pourra-t-elle tenir son unité doctrinale alors que l'application doctrinale variera selon les pays avec des pratiques pastorales différentes ?
Évolution structurelle affaiblissant la centrale romaine, bouillonnements de créativité pastorale aux périphéries, «synode sur la synodalité», tout est réuni pour que l'Église catholique connaisse dans les mois et années à venir des divisions spectaculaires sur les questions de société notamment mais aussi sur ce que doit être l'Église catholique, son identité. Le tout au détriment de son unité.
Car le pape François veut une Église en état synodale permanent en tout lieu et à tous les niveaux. Il l'a confirmé à plusieurs reprises cet été et en cette rentrée.
Pour connaître sa pensée profonde il faut souvent aller la chercher chez les… jésuites. C'est chez eux qu'il se livre quand il est en voyage, comme s'il était en famille. Il leur donne du temps et de l'importance en les visitant systématiquement. Ce qui donne à penser sur l'influence des jésuites sur ce pontificat.
Interrogé par ses confrères jésuites canadiens à Québec, le 29 juillet au matin, notamment sur la question synodale voici ce que François leur a confié. La citation est longue mais elle mérite publication car ce sujet va dominer les mois qui viennent. La traduction est réalisée par le site officiel mondial des jésuites dont nous publions cet extrait sans correction :
«Cela me dérange que l'adjectif «synodal» soit utilisé comme si c'était la recette de dernière minute pour l'Église. Quand on dit «Église synodale», l'expression est redondante : l'Église est synodale, ou elle n'est pas Église. C'est pourquoi nous en sommes venus à un Synode sur la synodalité : pour le réaffirmer. Nous pouvons certainement dire que l'Église en Occident avait perdu sa tradition synodale. L'Église d'Orient l'a conservé. Certes, nous pouvons discuter des manières de vivre la synodalité. Paul VI a créé le Secrétariat du Synode des évêques parce qu'il voulait avancer sur cette question. Synode après synode, nous avons avancé, timidement, en nous améliorant, en comprenant mieux, en mûrissant.
En 2001, j'ai été rapporteur pour le Synode des évêques. Je remplaçais le cardinal Egan qui, en raison de la tragédie des Twin Towers, avait dû retourner à New York, dans son diocèse. Je me souviens que les avis étaient recueillis et envoyés au Secrétariat général. Donc, je collectais le matériel et le soumettais ensuite au vote. Le secrétaire du Synode venait me voir, lisait le matériel et me disait de retirer telle ou telle chose. Il y avait des choses qu'il ne considérait pas appropriées et il les censurait. Il y a eu, en somme, une présélection du matériel. On n'a pas compris ce qu'est un Synode. À la fin du dernier Synode, dans l'enquête sur les sujets à aborder lors du suivant, les deux premiers étaient le sacerdoce et la synodalité. J'ai compris qu'il faut réfléchir sur la théologie de la synodalité pour faire un pas décisif en avant.
Il me semble fondamental de répéter – comme je le fais souvent – que le synode n'est pas une réunion politique ni une commission de décisions parlementaires. C'est l'expression de l'Église dont le protagoniste est l'Esprit Saint. Si l'Esprit Saint est absent, il n'y a pas non plus de synode. Il peut y avoir une démocratie, un parlement, un débat, mais il n'y a pas de «synode». Si vous voulez lire le meilleur livre de théologie sur le synode, relisez les Actes des Apôtres. On peut y voir clairement que le protagoniste est le Saint-Esprit. C'est ce qui est vécu dans le synode : l'action de l'Esprit. La dynamique du discernement se produit. On fait l'expérience, par exemple, que parfois on va vite avec une idée, on se dispute, et puis il se passe quelque chose qui ramène les choses ensemble, qui les harmonise de manière créative. C'est pourquoi j'aime préciser que le synode n'est pas un vote, une confrontation dialectique d'une majorité et d'une minorité. Le risque est aussi de perdre la vue d'ensemble, le sens des choses.
C'est ce qui s'est produit avec la réduction des thèmes du synode à une question particulière. Le Synode sur la famille, par exemple. Elle aurait été organisée pour donner la communion aux divorcés remariés. Pourtant, dans l'Exhortation post-synodale, il n'y a qu'une note sur ce thème, car tout le reste est constitué de réflexions sur le thème de la famille, comme par exemple sur le catéchuménat familial. Il y a donc tellement de richesse : on ne peut pas se concentrer dans l'entonnoir d'une seule question. Je le répète : si l'Église est telle, alors elle est synodale. Il en est ainsi depuis le début. »
«Un pas décisif en avant»
Le pape François explique clairement que l'état normal de l'Église est d'être «synodale», «l'Église est synodale, ou elle n'est pas Église», que le synode en cours – il est en phase continentale, dans un an, en octobre 2023, il sera en phase finale à Rome – sur la synodalité va marquer «un pas décisif en avant».
Le 11 août dernier, François est une nouvelle fois revenu sur la synodalité dans l'Église. Il répondait aux questions de la télévision portugaise TVI qui a diffusé l'entretien le 5 septembre.
Une occasion pour lui d'insister sur la méthode propre du synode fondée sur le «discernement» car le synode «n'est pas un parlement» mais un processus qui suit une «théologie du chemin», a-t-il affirmé.
Il a d'ailleurs rappelé l'importance de l'un de ses discours sur le sujet prononcé le 17 octobre 2015 à l'occasion du 50° anniversaire de la création par Paul VI, au Vatican, du secrétariat pour le synode où François expliquait effectivement et très précisément sa vision de la synodalité. Je vous invite à le relire si vous voulez avoir l'exposé le plus synthétique qu'il ait jamais fait sur le sujet.
L'une des clés de cette méthode, disait-il devant la caméra portugaise, est le «discernement», propre aux jésuites, qui permettrait «l'harmonie» dans la «diversité» tout en reconnaissant la difficulté : «dans tous les processus il y a ceux qui se sentent bien avec le processus, ceux qui veulent aller plus loin, et ceux qui restent plus en arrière». D'où l'importance d'éviter une «guerre ecclésiastique» en s'appuyant sur «l'Esprit Saint qui donne les moyens de faire mûrir l'Église» que ceux qui «avancent en courant» et ceux qui «reculent», les «réticents au changement», pour vivre une «théologie du chemin» à dimension «universelle».
Car continuait-il «le cléricalisme, qui est une perversion, enlève cette universalité au pasteur et en fait le pasteur d'un secteur ou d'une modalité pastorale» quand certains disent : «Ici, je commande et vous obéissez». Pour François «l'harmonie» n'est pas «l'ordre» : «l'ordre se trouve dans un cimetière ; tout est en ordre, mais il n'y a pas de vie. Dans l'harmonie, il y a la vie et c'est ce que fait le Saint-Esprit». Ajoutant : «Parfois, il y a des gens qui disent : 'Je suis très religieux, très croyant, je défends les valeurs chrétiennes', mais ils sont incapables de vivre en harmonie avec l'Église et il leur manque l'Esprit Saint». Ils sont dans une «idéologie religieuse».
Le cardinal Mario Grech a été chargé par le pape François de coordonner la préparation du synode sur la synodalité. Dans une interview récente, accordée au magazine catholique America, dirigé par les jésuites, il confie le 22 septembre dernier, à propos des cahiers de propositions qui remontent des différentes Églises pour préparer le document de travail du prochain synode : «je vois émerger une Église différente (…) parce qu'une Église est synodale ou elle n'existe pas».
J'essaye, un peu à contretemps, de me dégager des conditionnements immédiats de l'actualité chaude pour vous partager ce qui m'apparaît stable, notable, décisif à moyen terme.
Avec cette dose – et responsabilité – propre à ce métier, qui serait une forme de «présomption» au premier sens du Larousse. Un sens qui n'est pas négatif. Ce sont des analyses et des jugements fondés non sur des preuves absolues mais sur des indices, des observations, des hypothèses, du probable. Avec les faits certains et tangibles, cela forme la matière quotidienne du journalisme.
C'est aussi l'esprit de cette lettre : approcher les réalités complexes et délicates des domaines de la religion, de la spiritualité, de la laïcité, pour les saisir autant que possible, les formaliser avec des mots, en vue de nourrir notre réflexion commune. À un rythme volontairement lent pour laisser les choses se décanter. Pour l'urgent et le quotidien vous pouvez, si vous le voulez, vous référer à mes articles dans Le Figaro, imprimé ou publié sur internet.
Cette démarche d'approfondissement impose de l'humilité, j'ose le mot, devant des réalités qui nous dépassent, mais aussi une exigence rationnelle forte. Et surtout la liberté de dire les choses dans des univers culturels où la parole est souvent cadenassée. La liberté pourrait d'ailleurs être le sel de cette missive, son maître mot.
Que retenir en cet automne 2022 ?
J'ai eu la chance à la fin du mois d'août, puis en septembre, de me rendre à deux reprises à Rome, ville que je connais très bien pour y avoir vécu une dizaine d'années et pour m'y rendre très régulièrement. Il s'agissait de couvrir deux événements : la création de nouveaux cardinaux et une réunion exceptionnelle du Sénat de l'Église voulue par le pape sur la réforme de la Curie romaine ; le voyage de François au Kazakhstan ensuite que j'ai suivi dans l'avion papal.
Après ces années «Covid» marquées par la distance, les écrans, l'apparence virtuelle, rien ne pourra jamais remplacer la qualité de ces conversations à l'ombre des «trattorias» qui cernent la cité du Vatican où l'on sait toutefois que même les murs ont des oreilles…
Il est en effet une tradition vaticane paradoxale : il est interdit à ceux qui savent, de parler des «secrets du Palais», il leur est possible de dire beaucoup, en bonne intelligence, quand la confiance est établie et qu'elle n'est jamais trahie.
À partir de ces deux séjours, je confirme l'ambiance «fin de règne» que j'ai décrite au printemps dernier sur laquelle je ne reviendrai pas en détail dans cette lettre. Sinon pour noter une forme de fébrilité et de volontarisme, jamais encore observée à ce point en plus de trois décennies d'expérience journalistique romaine. Les lieutenants de François sont très nerveux quant à la mise en place de la réforme. Ils sont souvent plus royalistes que le roi.
Mais de secrets, au sens de ceux que l'on apprendrait par inadvertance en écoutant son hôte tourner sa cuiller dans un expresso noir comme l'ébène, il n'y en a plus guère. L'hyper communication a envahi l'Église. Cette surenchère a le goût insipide du «café Americano» transparent, sans saveur.
On aura remarqué par exemple que le nouveau «dicastère pour le service du développement humain intégral» (issu du regroupement de plusieurs ministères du Vatican de la réforme de la Curie qui visait à faire des économies) aura pris comme première décision de créer de toutes pièces un service de… communication ! Ce qui est sans doute générateur d'économie. Sauf, qu'il court-circuite la très officielle et pourtant efficace Salle de presse du Saint-Siège. Il diffuse sous embargo comme s'ils avaient une importance première, les discours de son ambitieux cardinal, Michael Czerny, 76 ans, un jésuite canadien, d'origine tchèque, proche du pape François.
Même phénomène dans le ministère en charge du synode. Cette structure fut jadis l'une des plus discrète. Elle aussi a créé son bureau de presse diffusant la bonne parole. À ce rythme chaque nouveau dicastère du Vatican, les ministères, aura son service de communication !
Le problème est que la véritable information ne réside dans ces bulletins officiels et lettres hebdomadaires souvent vides qui sont plutôt le symptôme du malaise d'une institution qui chercheraient à justifier en permanence son existence en montrant qu'elle « fait » des choses.
Il me semble pourtant que le silence de marbre de la chaire de Saint Pierre, au cœur de la basilique, vénérée par les catholiques comme le tombeau de l'apôtre, «travaille» tout autant à ce mystère d'une Église catholique qui traverse, taiseuse ou bavarde, les siècles, malgré tout.
Je ne glorifie pas un fixisme poussiéreux mais j'observe, dans toutes les religions, que le message dépasse souvent, et de très haut, ses messagers, fussent-ils des as du tweet ou du TikTok qui rime avec toc, car ce message essentiel, s'il a de la valeur et de la pertinence, touche qui il veut, là où il veut. Les religions doivent-elles vraiment chercher à séduire en adoptant les méthodes du marketing ? On y détecte souvent de stratégies personnelles et peu d'information à vrai dire.
Toutes les religions ont cependant un «appareil» religieux avec ses traditions, ses grandeurs, ses limites, c'est «l'institution». L'Église catholique détient, de ce point de vue, la palme de la continuité institutionnelle. Même en position d'aîné, le judaïsme n'a pas cette même permanence institutionnelle visible, structurée.
Quelques cardinaux contestent
C'est pourtant cette structure, cette stabilité institutionnelle de l'Église catholique dont on perçoit à présent les craquements sonores qui annoncent une mutation forte mais aussi un affaiblissement certain. Cette hypothèse est le cœur de cette lettre de rentrée.
Une question commence en effet à se poser : combien de temps cette stabilité institutionnelle catholique qui paraissait immuable va-t-elle tenir ? La majesté romaine et vaticane, sa centralité, vont-elles durer ?
Le mois qui vient de s'écouler a mis à jour des signaux très nets d'une forte évolution en cours. Et deux indices sérieux l'attestent.
Le premier concerne la réforme de la curie romaine, administration centrale de l'Église mais aussi tête visible d'un corps social et mystique appelé Église catholique. Il se trouve que la réunion des cardinaux des 29 et 30 août - la seconde depuis le début du pontificat en 2013 - a été le théâtre d'une contestation inattendue de plusieurs cardinaux inquiets de la tournure des événements. Lors de cette réunion à huis clos, plusieurs et pas des moindres, ont contesté un point clé de la nouvelle Constitution apostolique qui régit l'organisation de l'Église, le pouvoir du pape qu'il considère trop renforcé au détriment du pouvoir des évêques.
Ce document normatif a été préparé par un petit comité de neuf cardinaux pendant 9 ans. Il a été promulgué par François le 19 mars 2022 et seulement soumis à l'avis de tous les cardinaux les 29 et 30 août réunis à Rome à la demande du pape.
Bons garçons, quelques cardinaux ont osé faire observer qu'ils auraient pu être consultés «avant» et non pas «après» la promulgation… Le sacré collège forme, après tout, le sénat de l'Église. Ce n'est ni un détail, ni une nouveauté. C'est même une tradition millénaire dans l'Église. Les papes ont toujours consulté leurs cardinaux. Ils sont chargés de le conseiller. Avant même d'élire le pape, c'est leur première mission fondamentale.
D'autres cardinaux se sont étonnés que la synodalité, c'est-à-dire la concertation fraternelle, devenue le mot-clé du pontificat, ait été paradoxalement oubliée pour ce texte capital. Tant dans sa phase de conception de la réforme de la Curie en 2013, année de l'élection de François, que dans sa phase de mise au point de la nouvelle Constitution régissant cette réforme. Le texte a certes donné lieu à une consultation interne mais c'est ce seul groupe de neuf cardinaux, proches conseillers de François qui a décidé de tout avec le pape.
Au-delà de ces questions de méthode autoritaire, plusieurs cardinaux – dont publiquement, les cardinaux Ouellet et Kasper, ce n'est donc par une lubie de «conservateurs» - ont mis plus gravement en cause le fondement même de cette nouvelle Constitution de l'Église en considérant qu'elle n'était pas dans l'esprit du Concile Vatican II sur un point clé : l'origine du pouvoir dans l'Église ; et par conséquent… l'autorité.
En renforçant l'autorité du pape au détriment des évêques et des cardinaux, en confiant de hautes responsabilités à des laïcs et non plus seulement à des évêques, il leur semble que l'Église catholique abandonnerait une vision fondamentale de son ADN selon lequel le Christ a transmis son autorité d'abord aux apôtres dont les évêques sont les successeurs selon une tradition ininterrompue.
On n'entrera pas ici dans la discussion théologique qui nécessiterait, a minima, une dizaine de pages parce qu'elle très technique. Elle touche la distinction entre le «pouvoir d'ordre» et le «pouvoir de juridiction» dans l'Église. Le premier concerne l'évêque en tant «qu'apôtre», membre du collège apostolique choisi par le Pape avec l'autorité conférée par le Christ. Le second, le «pouvoir de juridiction» est fonctionnel, il peut être délégué à certaines conditions. La philosophe Aline Lizotte explique ici clairement cette différence.
On retiendra seulement le fait que l'Église catholique en cette année 2022, ouvre largement les portes du pouvoir, à son plus haut niveau, aux laïcs, sur un modèle inspiré du protestantisme. François bouscule les raisons théologiques qui réservaient le pouvoir ultime dans l'Église aux «évêques» selon le modèle du Christ et des apôtres.
À ce sujet, les dernières déclarations du cardinal Jean-Claude Hollerich, archevêque au Luxembourg et rapporteur général du prochain synode sur la synodalité sont limpides : il situe «l'écoute» des fidèles, comme la base du rôle de l'évêque et de son «autorité» sinon, pense-t-il le «pouvoir» est exercé d'une «mauvaise manière» et serait »monarchique» : ««Comment puis-je décider en tant qu'évêque si je n'écoute pas le peuple ?» a-t-il déclaré la semaine dernière à Frascati lors d'une session de préparation de ce synode à venir.
L'épiscopat catholique en perte d'autorité
Certains cardinaux, tous évêques, y voient un double risque, celui de voir leur «charisme» propre, épiscopal, être minimisé. Et par conséquent, le centralisme du pouvoir papal, renforcé car il serait le seul arbitre de la distribution des responsabilités, la «collégialité épiscopale» étant amoindrie.
De fait, le mot «collégialité» qui a dominé le fonctionnement ecclésial depuis cinquante ans est en train de disparaître de l'usage courant au profit du mot «synodalité».
Tout se passe comme si François avait affaibli les corps intermédiaires de l'Église, curie romaine, évêques qui assistaient depuis des siècles la papauté, au profit d'un gouvernement à la fois plus charismatique et plus personnel du pape mais aussi plus administré, et encadré via les conférences nationales des évêques.
L'évêque, «patron» de son diocèse, se trouve doublement court-circuité : le pape est devenu le seul évêque du monde ; la conférence épiscopale est devenue l'échelon ordinaire de gouvernance.
Cette discussion vous paraîtra byzantine, elle ne l'est pas car elle annonce des heures difficiles pour le centre du monde catholique qui, mis à part l'institution du pape, se trouve comme déboulonné de ses appuis fondamentaux.
Et pas sur un axe mineur mais sur l'un de ses pivots majeurs : l'autorité. Non l'autorité de dire si André ou Paul doivent occuper la présidence A ou B dans une logique d'organisation fonctionnelle mais l'autorité du discernement et de l'interprétation du «dépôt» de la foi chrétienne interprétée dans la tradition catholique. Ce qui est la raison d'être du Saint-Siège. Et ce qui situe l'enjeu de la question.
Les mois qui viennent vont être passionnants car il n'est pas impossible que le pape décide que ce point contesté de l'affaiblissement de l'autorité épiscopale dans la nouvelle constitution soit corrigé pour rester fidèle à l'Esprit du Concile Vatican II. Mais il peut aussi ne rien toucher. L'homme clé de cette réforme jouit de toute la confiance de François vient d'être nommé cardinal. C'est un jésuite qui est la référence de l'Église en matière de droit canonique : Mgr Gianfranco Ghirlanda. S'il accepte de revoir la copie, les choses pourraient évoluer. S'il refuse, son avis prévaudra et rien ne bougera. On vient de mesurer son poids et son influence auprès du pape dans l'affaire de l'Ordre de Malte.
Voilà pour le premier indice de notre réflexion. En donnant plus de pouvoir aux laïcs, ce qui est une bonne chose, le pape a débordé le champ de l'organisation fonctionnelle d'une structure et il a atteint le nerf du système, celui de nature de l'épiscopat, qui est d'ordre mystique, théologique et ecclésiologique et qui fonde l'autorité spirituelle dans l'Église et qui est jusque-là, le propre des évêques.
Si la nouvelle Constitution de l'Église conservait cette évolution, c'est l'autorité du Saint-Siège qui se trouverait aussi édulcorée au profit des conférences épiscopales et des périphéries. Avec des risques potentiels de divisions très sérieux comme on peut le voir maintenant alors que le centralisme catholique, critiquable à bien des égards, était l'un des points forts de cette Église.
L'Église en état de synode permanent
Un second indice remarquable, venant cette fois des périphéries et non plus de Rome, a surgi en ce mois de septembre : l'adoption par l'Église néerlandophone de Belgique d'une sorte de liturgie permettant de bénir des couples homosexuels. Ce qui a créé une polémique mondiale, corrigée par ces évêques eux-mêmes qui ont assuré qu'il ne s'agissait en aucun cas d'une «bénédiction» de l'union en question mais d'une prière d'accompagnement…
Je n'ai pas directement traité ce sujet sur lequel je vais revenir avec un angle plus large touchant les États-Unis, Rome, l'Allemagne car la pression est globale sur la reconnaissance plénière de l'homosexualité par l'Église, l'affaire belge n'étant qu'un épiphénomène.
Nous n'entrons donc pas ici dans l'argument mais dans le fait qu'une Église particulière a décidé d'une mesure aussi symbolique.
Il faut ajouter à cet épisode ce qui se prépare également en Allemagne dans le cadre du synode national. Ses décisions auront symboliquement autant d'importance que le synode sur la synodalité en cours à Rome. Car cette «créativité» pastorale touchera toutes les Églises locales quand la machine synodale mondiale sera lancée à pleine vitesse dans l'Église catholique.
Mais comment pourra-t-elle tenir son unité doctrinale alors que l'application doctrinale variera selon les pays avec des pratiques pastorales différentes ?
Évolution structurelle affaiblissant la centrale romaine, bouillonnements de créativité pastorale aux périphéries, «synode sur la synodalité», tout est réuni pour que l'Église catholique connaisse dans les mois et années à venir des divisions spectaculaires sur les questions de société notamment mais aussi sur ce que doit être l'Église catholique, son identité. Le tout au détriment de son unité.
Car le pape François veut une Église en état synodale permanent en tout lieu et à tous les niveaux. Il l'a confirmé à plusieurs reprises cet été et en cette rentrée.
Pour connaître sa pensée profonde il faut souvent aller la chercher chez les… jésuites. C'est chez eux qu'il se livre quand il est en voyage, comme s'il était en famille. Il leur donne du temps et de l'importance en les visitant systématiquement. Ce qui donne à penser sur l'influence des jésuites sur ce pontificat.
Interrogé par ses confrères jésuites canadiens à Québec, le 29 juillet au matin, notamment sur la question synodale voici ce que François leur a confié. La citation est longue mais elle mérite publication car ce sujet va dominer les mois qui viennent. La traduction est réalisée par le site officiel mondial des jésuites dont nous publions cet extrait sans correction :
«Cela me dérange que l'adjectif «synodal» soit utilisé comme si c'était la recette de dernière minute pour l'Église. Quand on dit «Église synodale», l'expression est redondante : l'Église est synodale, ou elle n'est pas Église. C'est pourquoi nous en sommes venus à un Synode sur la synodalité : pour le réaffirmer. Nous pouvons certainement dire que l'Église en Occident avait perdu sa tradition synodale. L'Église d'Orient l'a conservé. Certes, nous pouvons discuter des manières de vivre la synodalité. Paul VI a créé le Secrétariat du Synode des évêques parce qu'il voulait avancer sur cette question. Synode après synode, nous avons avancé, timidement, en nous améliorant, en comprenant mieux, en mûrissant.
En 2001, j'ai été rapporteur pour le Synode des évêques. Je remplaçais le cardinal Egan qui, en raison de la tragédie des Twin Towers, avait dû retourner à New York, dans son diocèse. Je me souviens que les avis étaient recueillis et envoyés au Secrétariat général. Donc, je collectais le matériel et le soumettais ensuite au vote. Le secrétaire du Synode venait me voir, lisait le matériel et me disait de retirer telle ou telle chose. Il y avait des choses qu'il ne considérait pas appropriées et il les censurait. Il y a eu, en somme, une présélection du matériel. On n'a pas compris ce qu'est un Synode. À la fin du dernier Synode, dans l'enquête sur les sujets à aborder lors du suivant, les deux premiers étaient le sacerdoce et la synodalité. J'ai compris qu'il faut réfléchir sur la théologie de la synodalité pour faire un pas décisif en avant.
Il me semble fondamental de répéter – comme je le fais souvent – que le synode n'est pas une réunion politique ni une commission de décisions parlementaires. C'est l'expression de l'Église dont le protagoniste est l'Esprit Saint. Si l'Esprit Saint est absent, il n'y a pas non plus de synode. Il peut y avoir une démocratie, un parlement, un débat, mais il n'y a pas de «synode». Si vous voulez lire le meilleur livre de théologie sur le synode, relisez les Actes des Apôtres. On peut y voir clairement que le protagoniste est le Saint-Esprit. C'est ce qui est vécu dans le synode : l'action de l'Esprit. La dynamique du discernement se produit. On fait l'expérience, par exemple, que parfois on va vite avec une idée, on se dispute, et puis il se passe quelque chose qui ramène les choses ensemble, qui les harmonise de manière créative. C'est pourquoi j'aime préciser que le synode n'est pas un vote, une confrontation dialectique d'une majorité et d'une minorité. Le risque est aussi de perdre la vue d'ensemble, le sens des choses.
C'est ce qui s'est produit avec la réduction des thèmes du synode à une question particulière. Le Synode sur la famille, par exemple. Elle aurait été organisée pour donner la communion aux divorcés remariés. Pourtant, dans l'Exhortation post-synodale, il n'y a qu'une note sur ce thème, car tout le reste est constitué de réflexions sur le thème de la famille, comme par exemple sur le catéchuménat familial. Il y a donc tellement de richesse : on ne peut pas se concentrer dans l'entonnoir d'une seule question. Je le répète : si l'Église est telle, alors elle est synodale. Il en est ainsi depuis le début. »
«Un pas décisif en avant»
Le pape François explique clairement que l'état normal de l'Église est d'être «synodale», «l'Église est synodale, ou elle n'est pas Église», que le synode en cours – il est en phase continentale, dans un an, en octobre 2023, il sera en phase finale à Rome – sur la synodalité va marquer «un pas décisif en avant».
Le 11 août dernier, François est une nouvelle fois revenu sur la synodalité dans l'Église. Il répondait aux questions de la télévision portugaise TVI qui a diffusé l'entretien le 5 septembre.
Une occasion pour lui d'insister sur la méthode propre du synode fondée sur le «discernement» car le synode «n'est pas un parlement» mais un processus qui suit une «théologie du chemin», a-t-il affirmé.
Il a d'ailleurs rappelé l'importance de l'un de ses discours sur le sujet prononcé le 17 octobre 2015 à l'occasion du 50° anniversaire de la création par Paul VI, au Vatican, du secrétariat pour le synode où François expliquait effectivement et très précisément sa vision de la synodalité. Je vous invite à le relire si vous voulez avoir l'exposé le plus synthétique qu'il ait jamais fait sur le sujet.
L'une des clés de cette méthode, disait-il devant la caméra portugaise, est le «discernement», propre aux jésuites, qui permettrait «l'harmonie» dans la «diversité» tout en reconnaissant la difficulté : «dans tous les processus il y a ceux qui se sentent bien avec le processus, ceux qui veulent aller plus loin, et ceux qui restent plus en arrière». D'où l'importance d'éviter une «guerre ecclésiastique» en s'appuyant sur «l'Esprit Saint qui donne les moyens de faire mûrir l'Église» que ceux qui «avancent en courant» et ceux qui «reculent», les «réticents au changement», pour vivre une «théologie du chemin» à dimension «universelle».
Car continuait-il «le cléricalisme, qui est une perversion, enlève cette universalité au pasteur et en fait le pasteur d'un secteur ou d'une modalité pastorale» quand certains disent : «Ici, je commande et vous obéissez». Pour François «l'harmonie» n'est pas «l'ordre» : «l'ordre se trouve dans un cimetière ; tout est en ordre, mais il n'y a pas de vie. Dans l'harmonie, il y a la vie et c'est ce que fait le Saint-Esprit». Ajoutant : «Parfois, il y a des gens qui disent : 'Je suis très religieux, très croyant, je défends les valeurs chrétiennes', mais ils sont incapables de vivre en harmonie avec l'Église et il leur manque l'Esprit Saint». Ils sont dans une «idéologie religieuse».
Le cardinal Mario Grech a été chargé par le pape François de coordonner la préparation du synode sur la synodalité. Dans une interview récente, accordée au magazine catholique America, dirigé par les jésuites, il confie le 22 septembre dernier, à propos des cahiers de propositions qui remontent des différentes Églises pour préparer le document de travail du prochain synode : «je vois émerger une Église différente (…) parce qu'une Église est synodale ou elle n'existe pas».