giovedì 10 febbraio 2022

Francia
Pédocriminalité dans l’Eglise : la commission Sauvé répond aux critiques de l’Académie catholique

(Cécile Chambraud, Le Monde) La Ciase, qui avait révélé en octobre 2021 l’ampleur des abus sexuels commis par des prêtres et des religieux, contredit point par point les attaques contre la méthodologie et les conclusions de son rapport. -- La Ciase contre-attaque. Le site de la Commission indépendante sur les abus sexuels dans l’Eglise catholique (Ciase) a rendu publics, mercredi 9 février, trois textes visant à répondre point par point aux critiques formulées par des membres de l’Académie catholique de France à l’encontre des conclusions de son rapport. Celui-ci, rédigé à la demande de l’épiscopat et des congrégations religieuses, avait été publié le 5 octobre 2021. Il avait révélé l’ampleur de la pédocriminalité dans le clergé et formulé des préconisations pour la prévenir.
Un mois plus tard, huit dirigeants de l’Académie catholique de France – une institution rassemblant des personnalités de divers horizons – avaient transmis au Vatican un texte au vitriol contre les conclusions de la Ciase. Ni les analyses ni les recommandations ne trouvaient grâce à leurs yeux. Les signataires accusaient la commission présidée par Jean-Marc Sauvé d’avoir présenté les fruits de son enquête de manière tendancieuse afin de « clore la discussion » et de contraindre les représentants de l’Eglise catholique à acquiescer sans broncher à ses préconisations « idéologiques ». Ils critiquaient notamment la mise en avant de l’estimation de 216 000 personnes aujourd’hui majeures ayant été victimes, mineures, d’un prêtre ou d’un religieux, chiffre qui grimpe à 330 000 si l’on y ajoute les victimes de laïcs en mission. « La rigueur scientifique n’a pas présidé à ses travaux », accusaient-ils.
Après la diffusion de cette philippique de quinze pages, qui trouvait un écho dans certains segments conservateurs de l’Eglise catholique, Jean-Marc Sauvé avait décidé d’y répondre en détail. C’est l’objet des quatre-vingt-seize pages mises en ligne par la Ciase. « On ne pouvait pas se contenter d’un haussement d’épaules face à ces attaques venimeuses faites dans une démarche de déni, de dénigrement et de destruction, explique au Monde l’ancien vice-président du Conseil d’Etat. Car ce qui est en jeu, aujourd’hui, c’est la capacité de l’Eglise catholique à continuer de porter une parole de salut à notre société. Ce qu’elle s’est donné les moyens de faire en s’engageant dans une voie de reconnaissance et de réparation de ce qui s’est passé. » Au terme de cet examen, dit-il, « il ne reste rien des critiques très graves qui ont été adressées à ce rapport par l’Académie catholique ».
Expertise de l’Insee
Les objections des académiciens catholiques étaient de trois ordres. Ils mettaient en cause le chiffrage des violences sexuelles commises depuis 1950 ; ils attaquaient les analyses juridiques et théologiques ; enfin, ils questionnaient la légitimité de la Ciase à proposer des changements à l’Eglise.
Pour répondre aux objections portant sur la méthodologie, Jean-Marc Sauvé a demandé une expertise à un groupe de statisticiens de l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) ainsi qu’un avis au sociologue François Héran, professeur au Collège de France et ancien directeur de l’Institut national d’études démographiques (INED). Au terme de ces deux expertises, affirme Jean-Marc Sauvé, « aucune critique de l’Académie catholique n’est validée ».
La note des académiciens discutait tout d’abord l’évaluation du nombre de victimes produite pour la Ciase par une équipe de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm), dirigée par la sociologue Nathalie Bajos. Afin de cerner le profil des victimes et de comparer la prévalence des abus dans l’Eglise à celle d’autres lieux de socialisation, la commission avait décidé d’enquêter en population générale. N’ayant pu profiter d’une enquête de l’Inserm fondée sur la méthode aléatoire (un échantillon de la population est tiré au sort), reportée pour cause de pandémie, elle avait décidé de recourir à un échantillon lui aussi très large, mais constitué selon la méthode dite des quotas (on vérifie sa conformité à la structure de la population selon certains critères sociodémographiques comme l’âge, le lieu de résidence ou la profession) et à partir d’un panel de répondants fidélisés par l’institut IFOP, appelé « access panel » par les sondeurs.
Echantillon suffisant
Après deux phases d’échantillonnage par quotas, les chercheurs avaient retenu un échantillon de 28 010 réponses à son questionnaire administré en ligne. Parmi elles, 171 personnes disaient avoir été abusées, lorsqu’elles étaient mineures, dans le cadre de l’Eglise catholique, dont 118 par un prêtre ou un religieux. Extrapolées à la population globale, ces deux valeurs ont donné 330 000 et 216 000 personnes (avec une marge d’erreur précisée dans le rapport).
L’Académie catholique soulevait des objections de deux ordres à cette méthode. Elle questionnait d’abord la représentativité de l’échantillon et le recours à un « access panel ». Sur ce point, les experts de l’Insee confirment que le recours à un « access panel » induit « un risque de biais d’estimation » sans « qu’il soit possible d’en déterminer l’ampleur » ni de présumer « que l’estimation obtenue soit éloignée de la vraie valeur ». Mais ils relèvent que « les méthodes suivies pour conduire l’enquête, redresser et exploiter les résultats ont été globalement conformes aux meilleures normes professionnelles et scientifiques en vigueur ».
Ils notent que les résultats obtenus par l’Inserm concernant la prévalence des violences sexuelles dans l’ensemble de la société concordent avec ceux des grandes enquêtes réalisées par la méthode aléatoire. Ils émettent « l’hypothèse raisonnable que le biais reste limité et n’est probablement pas susceptible de changer les conclusions quant à l’ordre de grandeur du phénomène mesuré des abus sexuels dans la société et dans l’Eglise ». Quant à François Héran, il ne « voit pas pourquoi les biais de recrutement des viviers panélisés aboutiraient à grossir fortement les déclarations d’abus sexuels ».
L’Académie catholique contestait en second lieu qu’il soit possible d’extrapoler à partir des réponses de 118 et 171 personnes en raison de « chiffres nettement en deçà de ceux qui permettent une interprétation statistique ». L’expertise de l’Insee comme la note de François Héran contredisent totalement cette affirmation. « Ce passage ne fait sens pour aucun statisticien connaissant un tant soit peu la question », cingle le professeur au Collège de France, qui juge possible cette extrapolation si l’échantillon est suffisant et correctement constitué.
« Faute juridique et morale »
Un long texte de Jean-Marc Sauvé répond aux autres critiques soulevées par les académiciens contre les analyses juridiques et théologiques de la Ciase, qui ont débouché sur des préconisations à la hiérarchie catholique. Théologie du sacerdoce, célibat des prêtres, lecture critique des Ecritures, morale sexuelle : le président de la Ciase apporte la contradiction à ses contradicteurs sur tous les points soulevés. « Les auteurs se sont adressés au Saint-Siège pour disqualifier notre étude sur la base d’arguments qui prennent le contrepied des enseignements du pape François », affirme-t-il au Monde.
Quant aux objections élevées par les académiciens aux analyses de la Ciase sur la responsabilité de l’Eglise à l’égard des victimes et les fondements d’une réparation, elles s’inscrivent selon lui « dans une perspective conduisant à nier toute responsabilité à l’Eglise et à manifester la plus grande indifférence aux victimes ». « La racine de nos désaccords, commente M. Sauvé, c’est qu’ils estiment que seule l’Eglise est capable de faire la lumière sur ce qui se passe en son sein. Pour eux, l’Eglise – et plus précisément, les clercs – a le monopole de la vérité sur elle-même. L’Académie catholique n’accepte pas que l’Eglise ait confié cette mission à des laïcs. »
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La transmission de la note des huit académiciens au Vatican avait précédé de peu l’annulation du rendez-vous initialement prévu de la Ciase avec le pape François. Ce contre-argumentaire fera-t-il changer d’avis le Saint-Siège ?

(Le Monde)